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Le 4 janvier 1893, mourait subitement à Lyon un prêtre défroqué, nommé Boullan, ancien aumônier d’un couvent de religieuses. Ce Boullan, comme on va le voir, n’était guère recommandable.

Au Figaro, où règne au-dessus de toutes choses un esprit de scepticisme, allié au désir d’arriver à n’importe quel prix bon premier sur la piste de l’actualité, le directeur, M. Magnard, accueillit, pour annoncer la mort de l’ex-abbé, un article d’un de ses admirateurs, M. Philippe Auquier. Cet article, qui était intitulé le Roi des Exorcistes, peignait le défunt sous des couleurs très favorables. Je le reproduis d’abord : nous verrons ensuite ce que valent ces éloges prodigués à feu Boullan.

Voici l’article :

« L’abbé Boullan, celui-là même que M. J.-K. Huysmans nous présentait naguère, dans Là-Bas, sous le nom du docteur Johannès, et qui s’était vu donner, par la plupart de nos occultistes, le titre de roi des exorcistes, vient de mourir. Un télégramme de Lyon, dont ce curieux homme avait depuis longtemps fait sa résidence, nous apprend qu’il a rendu subitement le dernier soupir.

« La nouvelle frappera d’autant plus les initiés, que l’abbé était, il y a quelques semaines, à Paris, plein de santé et de projets, et plus fort que jamais contre les maléfices déchaînés contre lui par les apôtres de la magie noire.

« C’était une bien singulière figure que celle de ce prêtre pour qui, suivant certains, les problèmes les plus obscurs du Surnaturel n’avaient su garder leur secret.

« On peut le dire aujourd’hui, le public se leurra le jour où il accorda à M. Péladan — sur la seule foi de ses affirmations et étant donnée la fantaisie de ses costumes — le plus haut grade dans l’armée des amants de Psyché. Parmi ceux qui vouèrent leur vie à l’étude de l’occultisme, Boullan avait droit à la première place. C’était un apôtre dans l’acception la plus stricte du mot.

« Ordonné prêtre, alors qu’il était jeune encore, celui qui devait assumer la tâche de propager les vieilles doctrines Johanniques, en notre époque sans foi, exerça pendant de longues années à Paris. Cœur orgueilleux, cerveau inquiet et assoiffé d’absolu, il se livra dès lors, de toute la force de sa pensée, aux études théologiques. Lentement le mysticisme vague dont il s’était senti dès sa jeunesse possédé se précisait. Un jour, comme il avait obtenu le diplôme de docteur, on le fit aumônier d’un couvent de religieuses. Déjà des idées hardies, bien faites pour lui valoir les rigueurs des chefs du catholicisme moderne, le tenaient. Il se sentait, disait-il, « délégué par le ciel pour combattre Satan et pour prêcher la venue du Christ glorieux et du divin Paraclet. »

« Le milieu dans lequel il vivait se prêtait d’ailleurs admirablement à ses projets. Parmi les nonnes, plusieurs se plaignaient d’avoir à subir les atrocités des incubes. L’aumônier, par la seule puissance de ses invocations, les en débarrassa. Dans le couvent, les pratiques du mysticisme le plus ardent devinrent quotidiennes. Le haut clergé s’émut. On convoqua, à l’archevêché, l’abbé Boullan, pour l’examiner sur les doctrines dont il se faisait ainsi, — à l’encontre des règles édictées à Rome — le propagateur. Les explications qu’il donna furent catégoriques. Sa mise en interdit en résulta.