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mêlée, lui couper les deux oreilles et les mettre dans sa poche ; puis, il ferait, avec la pointe de son épée, une croix sur la terre entre les pieds de devant de son cheval ; et, après avoir baisé cette croix, il se hâterait de fuir. Le jeune homme, ayant accompli exactement ces instructions, revint sain et sauf de la bataille. Mais, en rentrant chez lui, il trouva sa femme percée d’un coup d’épée, expirante et sans oreilles.

Les procédés et les rites de l’envoûtement variaient avec les pays, ainsi que je l’ai dit tout à l’heure. Un historien arabe du xive siècle, Ibn-Kadoun, décrit ainsi, de visu, la confection du sortilège, tel qu’il se pratiquait en pays musulman :

« Nous avons vu de nos propres yeux un de ces individus fabriquer l’image d’une personne qu’il voulait ensorceler. Ces images se composent de choses dont les qualités ont un certain rapport avec les intentions et les projets de l’opérateur et qui représentent symboliquement, et dans le but d’unir et de désunir, les noms et les qualités de celui qui doit être sa victime. Le magicien prononce ensuite quelques paroles sur l’image qu’il vient de poser devant lui et qui offre la représentation réelle ou symbolique de la personne qu’il veut ensorceler ; puis, il souffle et lance hors de sa bouche une portion de salive et fait vibrer en même temps les organes qui servent à énoncer les lettres de cette formule malfaisante ; alors, il tend au-dessus de cette image symbolique une corde apprêtée pour cet objet et y met un nœud pour signifier qu’il agit avec résolution et persistance, qu’il fait un pacte avec le démon qui était son associé dans l’opération au moment où il crachait, et pour montrer qu’il agit avec l’intention bien arrêtée de consolider le charme. À ces procédés et à ces paroles malfaisantes est attaché un mauvais esprit qui, enveloppé de salive, sort de la bouche de l’opérateur. Plusieurs mauvais esprits en descendent alors, et le résultat en est que le magicien fait tomber sur sa victime le mal qu’il lui souhaite[1]. »

Dans les pays chrétiens, comme on l’a vu dans les exemples cités, l’envoûtement se complique le plus souvent de rites religieux qui sont une parodie sacrilège des cérémonies et des sacrements de l’Église. La profanation et le sacrilège donnent à l’envoûtement plus de force et d’efficacité ; à défaut de baptême ou des autres sacrements conférés à l’image, il faut tout au moins inscrire sur la poitrine de la figurine le nom des anges de la cabale. Un prêtre du diocèse de Clermont, nommé Pépin, accusé en 1347 d’avoir voulu envoûter l’évêque de Mende à l’aide d’une figure de cire, avoua, entre autres choses, qu’il avait fabriqué son image le vendredi, et qu’il avait inscrit sur sa poitrine le nom de l’ange de ce jour, Anhoël, en même temps que six autres noms d’anges. Ce même prêtre déclara, en outre, qu’il s’était servi, pour

  1. Citation extraite de l’Envoûtement, par le colonel de Rochas.