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« Ma tante était membre de l’Église écossaise, et quelques deux ans auparavant, j’avais, à sa grande désapprobation, embrassé les doctrines « wesléyennes » ; mais son opposition devint si violente, que je dus rejoindre les « congrégationalistes ».

« Un matin, en descendant pour déjeuner, elle remarqua la pâleur de ma figure et me reprocha d’avoir été agité par quelques-unes de nos réunions théologiques. J’allais m’asseoir à table, quand ce meuble fut assailli par une pluie de frappements continus. Je m’arrêtai, saisi de terreur devant de tels bruits émanant d’une cause invisible, lorsque je fus ramené aux banales réalités de la vie par l’exclamation de ma tante parfaitement scandalisée :

« — Ainsi, s’écria-t-elle, vous avez amené le diable dans ma maison, n’est-ce-pas ? »

« Ma tante avait entendu parler par ses voisins des phénomènes de Rochester, et elle considérait ces frappements comme l’œuvre du démon.

« Dans son exaspération, elle prit une chaise et la jeta contre moi. Sachant combien j’étais innocent du fait qui provoquait sa malheureuse colère, je me sentis blessé par sa violence, en même temps que je me fortifiai dans la résolution de savoir la cause qui avait troublé notre repas du matin.

« Il y avait, dans le village, trois ministres, un congrégationaliste, un anabaptiste et un wesléyen. Dans l’après-midi, ma tante, que son courroux contre moi aveuglait au point d’oublier ses préventions religieuses contre les sectes rivales, manda ces ministres chez elle pour se consulter avec eux et les exhorter à prier pour moi, dans le but de me délivrer de ces étranges visites.

« Le prêtre anabaptiste, M. Mussey, vint le premier ; après m’avoir interrogé sur la façon dont je m’étais attiré ces manifestations occultes, et ne recevant de moi aucune réponse qui le satisfît, il désira que nous priions ensemble pour les faire cesser. Nous nous mîmes donc à genoux, et à chaque énonciation des noms sacrés de Dieu et de Jésus, il se produisit de légers coups dans sa chaise et dans différentes parties de la chambre, et chaque fois que nous implorions la miséricorde du Très-Haut pour nous et notre prochain, c’étaient des roulements continus qui se joignaient à nos prières ferventes.

« Je fus tellement frappé, tellement ému, que je résolus sur le champ, encore à genoux, de me mettre à l’entière disposition de Dieu, et de suivre la direction de ce qui ne pouvait être que le bien et la vérité, puisqu’on exprimait sa joie à ces principaux passages de ma prière.

« Ce fut là certainement le point où mon existence fit un coude, et, depuis, je n’en ai pas senti un seul regret, quoique pendant longtemps j’aie eu beaucoup à souffrir dans l’exécution de ce projet. Mon honneur a été mis en question, mon orgueil blessé, mes espérances mondaines obscurcies, et je fus chassé de la maison à l’âge de dix-huit ans, quoique je ne fusse encore qu’un