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pendant plusieurs mois, le jouet d’un habile pseudo-médium féminin, qui abusa indignement de sa crédulité de savant, et fit de lui la risée de l’Angleterre.

Il est d’autant plus à propos d’insister sur cette mésaventure que presque tous les historiens du spiritisme, même les plus graves, n’hésitent pas aujourd’hui encore à reproduire, comme faisant autorité, le récit où M. Crookes lui-même a naïvement raconté sa mystification, avec toutes les précautions prises par lui pour ne point être dupe. Or, jamais il n’y eut mystification plus évidente, et dupe plus complète. C’est à croire, pour l’honneur d’expérimentateur de M. Crookes, qu’il n’a écrit cette histoire que pour expérimenter jusqu’où peut aller, sur la foi d’un savant, la crédulité des badauds du dix-neuvième siècle.

Voici, en deux mots, toute l’histoire :

Le prodige s’opérait dans un cabinet fermé par des rideaux, où le médium, miss Cook, reposait censément endormie. À un moment donné, les rideaux s’ouvraient, et l’esprit réincarné, sous le nom de Katie King, apparaissait à l’assemblée. Non seulement Katie King marchait au milieu des assistants, et leur parlait ; mais sur leur désir, elle se laissait prendre dans leurs bras et leur permettait d’appuyer leur tête sur sa poitrine afin de compter les pulsations de son cœur : « J’usai de cette permission, dit M. Crookes, — convenablement, comme tout homme bien élevé l’eût fait dans ces circonstances — et je puis assurer que le fantôme (qui du reste ne fit aucune résistance) était un être aussi matériel que miss Cook elle-même. »

Oh ! oui ! excellent Crookes ; le fantôme, que tu embrassais convenablement (c’est entendu), n’était que miss Cook elle-même, que tu croyais en crise magnétique ou somnambulique, étendue inerte sur le canapé du cabinet plongé dans la plus complète obscurité. Ou, si ce n’était pas miss Cook, c’était un compère femelle, qui disparaissait aussitôt que l’expérimentateur pénétrait dans le cabinet avec une lampe à phosphore, pour s’assurer de la présence simultanée du médium et de son fantôme.

« En retournant à mon poste d’observation, dit M. Crookes, Katie apparut de nouveau, et dit qu’elle pensait qu’elle pourrait se montrer à moi en même temps que son médium. Le gaz fut baissé, et elle me demanda ma lampe à phosphore. Après s’être montrée à sa lueur pendant quelques secondes, elle me la remit dans les mains, en disant : « Maintenant, entrez, et venez voir mon médium. » Je la suivis de près dans ma bibliothèque, et à la lueur de ma lampe, je vis miss Cook reposant sur le sofa exactement comme je l’y avais laissée. Je regardai autour de moi pour voir Katie, mais elle avait disparu. Je l’appelai, mais je ne reçus pas de réponse. »

Décidément, il faut être naïf comme un… chimiste, pour se laisser tromper par d’aussi grossières illusions. Mais rien n’égale la séance d’adieu ; car enfin