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Des observateurs malins ont fait la remarque que l’esprit Naudin donne toujours raison à Mme Jacquet contre son mari, lorsqu’ils ne sont pas d’accord sur une question quelconque. Ainsi, quand monsieur et madame ont décidé une partie de plaisir pour le dimanche suivant, et que madame voudrait, par exemple, que l’on allât à Montmorency, tandis que monsieur opine pour aller à Fontenay-aux-Roses, on consulte la table ovale, et l’esprit Naudin répond, à coups de pied sur le parquet, que la partie devra se faire à Montmorency. Si Jacquet et sa femme ont un placement à faire et qu’il y ait discussion sur la valeur à acheter, la table ovale est mise en demeure d’indiquer l’obligation la plus avantageuse, et l’esprit Naudin confirme invariablement le choix, la préférence de Mme Jacquet. Il en résulte que l’esprit de la table ovale porte la culotte dans le ménage.

Ce spiritisme-là, entre amateurs, fait tache d’huile ; il s’étend de famille en famille.

Un jour, les époux Jacquet avaient été invités à un thé spirite chez des amis. Ils arrivèrent en retard. On avait déjà commencé à évoquer ; c’est à Cagliostro qu’on avait fait appel. Seulement, à peine dans la table, l’esprit Cagliostro déclara qu’il s’y trouvait mal à l’aise et qu’il finirait la soirée assis dans un grand fauteuil ; il désigna le fauteuil à sa convenance parmi ceux du salon. Tout le monde fit cercle autour du fauteuil choisi, et, la table ayant cessé de parler (le mystificateur de la société ayant arrêté son jeu), chacun fut persuadé que Cagliostro, tout en demeurant invisible, était là. On était dans l’attente de ce que l’esprit allait faire.

Soudain, le timbre de la porte d’entrée résonne ; on ouvre ; ce sont les retardataires qui arrivent, M. et Mme Jacquet.

Ils s’excusent, on les complimente néanmoins, et l’excellent Jacquet, ignorant ce qui venait de se passer au début de la séance qu’il interrompait, va s’asseoir dans le grand fauteuil.

Exclamations du maitre et de la maîtresse de la maison, ainsi que des invités :

— Que faites-vous, grands dieux ! crie-t-on à Jacquet ; vous vous asseyez sur Cagliostro !…

Jacquet ne fait qu’un bond hors du fauteuil, honteux, confus de son inconvenance à l’égard d’un tel esprit. Bien bas, il s’incline devant le meuble, demande pardon humblement, supplie Cagliostro de ne pas lui en vouloir et lui offre toutes les réparations qu’il pourra désirer.

Comme on le pense, cet accident jeta un froid. On eut beau interroger la table, elle ne répondit que par des lettres ne formant aucun mot ; le mystificateur de la société s’amusait d’une autre manière que tout à l’heure. Quant au fauteuil, il ne donna lieu à aucun prestige. On avait espéré que Cagliostro se montrerait, assis là, en fantôme phosphorescent, et à cet effet