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la troisième avec une humaine, et lui annonça qu’elle retournait vivre dans la planète Jupiter. De ce jour, la table-gigogne redevint immobile.

Wladimir s’unit avec une spirite, plus ou moins femme de lettres ; ils vivent tous deux, s’accordant à merveille, lui, vendant toujours des pipes, et elle, Ludovique (c’est son nom), tricotant des bas bleus.

Cette histoire, qui jette une note gaie [1] dans l’étude de l’occultisme contemporain, méritait d’être rapportée, pour les raisons que j’ai indiquées plus haut. Elle montre que, même dans le milieu des mystificateurs et des mystifiés, le diable ne dédaigne pas parfois d’intervenir. Wladimir a beau ne pas être luciférien, il est évident qu’il a passé plusieurs mois de sa vie en commerce avec un démon, et il a certainement beaucoup plus de chances de finir en enfer qu’au ciel.


On n’en finirait plus, si l’on voulait raconter des anecdotes sur ce monde étonnamment naïf des mystifiés pseudo-spirites. Ils sont innombrables, dans les divers pays ; Paris, comme toutes les grandes villes, en pullule.

Tous n’appartiennent pas à des groupes organisés ; on en est arrivé à faire du spiritisme en famille.

Je prendrai pour exemple une famille de très braves gens, les Jacquet. Le chef de la famille, excellent homme, se croit magnétiseur ; cette idée lui est venue, parce qu’un jour le chat qu’il avait un moment fixé, s’était mis à fermer les yeux ; de là, il conclut que ses prunelles étaient deux sources abondantes de fluide.

Mme  Jacquet, née Tenaille, d’un caractère assez espiègle, se rallia à l’opinion de son mari, et bientôt tout le monde devint spirite dans cet intérieur. La belle-mère, Mme  Tenaille, ne fut pas la dernière à adopter la théorie de Fox. Amis, amies, parents et connaissances furent sollicités, gagnés, convaincus, où firent semblant de l’être. La maison devint le foyer d’une société de spirites amateurs.

Les réceptions, consacrées à ces séances intimes, ont lieu le mercredi. L’esprit familier, qui prend ses ébats dans ce milieu, a déclaré se nommer Naudin. C’est au moyen d’une table ovale qu’on opère.

  1. Les tables tournantes ne se comportent pas toujours gaiement ou inoffensivement, lorsque le diable s’en mêle. On m’a cité le fait d’une de ces tables qui, à Lyon, il y a peu d’années, dans une société de pseudo-spirites amateurs, rompit brusquement la chaîne des personnes qui l’entouraient, se précipita avec une hostilité marquée contre l’un des soi-disant médiums, et, le serrant fortement entre elle et le mur, lui fit souffrir une vraie torture jusqu’à ce qu’on vint le délivrer. La table ne lâcha prise que lorsqu’une des personnes présentes eut la bonne inspiration de faire un signe de croix, ayant compris alors que le peresprit évoqué n’était autre qu’un démon. Cette personne, à la suite de cette aventure, se jura de ne plus se livrer aux passetemps du pseudo-spiritisme, et elle a tenu parole. Quant au médium à demi-écrasé, loin de renoncer à ces coupables pratiques, il n’en a été que plus ardent et croit plus que jamais à la puissance du peresprit. Je tiens ce fait d’un saint religieux qui en a eu confidence et qui, bien entendu, a gardé et garde le secret sur les personnes en cause. Les tables tournantes peuvent donc être considérées, en certains cas, comme des preuves de la possession des objets par le diable.