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écrivais pour ma leçon, le diable vint et fit trois fois du bruit derrière mon poêle, comme s’il en eût traîné un boisseau. Enfin, comme il ne voulait point finir, je rassemblai mes petits livres et allai me mettre au lit. Je l’entendis encore une nuit au-dessus de ma chambre dans le cloître ; mais, comme je remarquai que c’était le diable, je n’y fis pas attention et me rendormis. »

Luther acceptait alors l’enseignement de l’Église sur la vertu des exorcismes ; sa ferveur et sa piété recommandaient même le jeune docteur comme pouvant remplir avec fruit ce ministère d’exorciste dont il se moquera plus tard[1].

Appelé un jour à exorciser une jeune fille à qui apparaissait un beau jeune homme, qui lui disait être le Christ, et qu’elle priait dévotement, Luther reconnut aussitôt une ruse de Satan « un jeu et une singerie du diable, et exhorta sa fille à ne pas se laisser duper ainsi. En effet, dès qu’elle eut craché au visage du fantôme, le diable disparut, la figure se changea en un grand serpent qui courut à la fille et la mordit à l’oreille, de sorte que le sang coula. Puis, le serpent s’évanouit. Luther vit la chose de ses propres yeux, avec beaucoup d’autres personnes. »

Luther inaugurait ainsi sa méthode favorite d’exorcismes qu’il proclamera bien supérieure à celle de l’Église : le dédain et le mépris du diable, prétendant que le diable ne craint rien tant que de se voir méprisé et vilipendé. « Il faut mépriser cet esprit, dira-t-il plus tard, et s’en rire, mais ne pas aller l’éprouver par des exorcismes et autres choses sérieuses, parce que la superbe diabolique se rit de tout cela. »

Un pasteur des environs de Torgau se plaignant à Luther que le diable faisait la nuit un bruit extraordinaire dans sa maison, qu’il lui cassait ses pots et sa vaisselle, lui en jetait les morceaux à la tête et riait ensuite, Luther lui dit : « Cher frère, sois fort dans le Seigneur, ne cède point à ce meurtrier de diable. Si l’on n’a point invité et attiré cet hôte chez soi par ses péchés, on peut lui dire : « Ego auctoritate divinâ hic sum pater familias et vocatione cælesti pastor ecclesiæ ; mais toi, diable, tu te glisses dans cette maison comme un voleur et un meurtrier. Pourquoi ne restes-tu pas dans le ciel ? Qui t’a invité ici ? »

Et cependant Luther attribuait au démon un pouvoir formidable, une puissance exagérée sur la vie de l’homme ; il allait jusqu’à croire que le diable peut tuer les gens comme un brigand tue un voyageur au coin d’un bois ; il cite l’exemple de ces deux nobles qui avaient juré de se tuer l’un l’autre et dont l’un fut tué par le diable, dans son lit, avec l’épée de l’autre.

À ses yeux, tous les fous, tous les boîteux, tous les aveugles, tous les muets sont des hommes chez qui les démons se sont établis. Les somnam-

  1. On verra plus loin ce que Luther pensait des exorcismes papistes.