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combine à sa fantaisie les divers éléments, de manière à en créer quelque chose qui n’a aucune réalité correspondante dans le monde extérieur.

Et ces créations, quand l’enthousiasme poétique est monté à son comble, ne revêtent-elles pas à l’œil intérieur du poète les couleurs et les formes de la réalité ? Ces créations de son esprit ne se mettent-elles pas à vivre pour lui avec toute l’intensité de l’acte qui les a créées ? Le romancier de génie ne voit-il pas s’animer, se colorer, se réaliser les fictions de son cerveau, tout un monde naître et s’agiter sous sa baguette de magicien créateur ? Ces créations de l’âme ne sont-elles pas en un certain sens plus animées, plus vivantes que les images imprimées dans le cerveau par la sensation ?

L’inspiration n’est-elle pas encore plus forte, plus complète, alors que les sens du poète ou de l’artiste sont fermés à toutes les suggestions du monde extérieur ? Milton aveugle n’en apercevait que plus clairement les visions du monde surnaturel créées par son imagination ; Beethoven, sourd, entendait distinctement dans sa tête l’écho des mélodies que sa main exécutait sur le piano. Chez plusieurs poètes, cette force de l’imagination est allée jusqu’à l’hallucination proprement dite, notamment chez le Tasse, William Blake et Shelley.

Sans doute il ne faut pas confondre la faculté d’hallucination, telle qu’elle vient d’être définie, avec ces facultés normales, dont elle différera toujours en ce qu’elle revêt l’objet remémoré ou imaginé de l’apparence trompeuse d’une sensation actuelle. Mais elle a avec elles des relations étroites ; la perception, la mémoire et l’imagination y jouent un rôle important ; elle n’est, en somme, le plus souvent que la mémoire et l’imagination déformées par la force même de la vision intérieure imposant au sens la reproduction de l’image remémorée ou créée par elles.

Tantôt, en effet, l’hallucination n’est que la reproduction exacte, la continuation d’une sensation antérieure réellement éprouvée. Newton, après avoir fixé le soleil dans une glace, dirigeant par hasard sa vue sur une partie obscure de l’appartement, y vit le spectre solaire se reproduire avec des couleurs aussi vives que le soleil lui-même. Ce que Newton obtint ainsi fortuitement, on peut l’obtenir à volonté ; qui ne s’est amusé, après avoir fixé attentivement une croisée très éclairée, à regarder ensuite la muraille à l’ombre ? L’image de la croisée apparaît aussitôt comme par enchantement sur la muraille. Boyle, dans son ouvrage sur les couleurs, rapporte le cas d’un individu qui continua pendant plusieurs années de voir le spectre solaire, lorsqu’il regardait des surfaces brillantes.

Je pourrais citer ainsi plus d’un exemple d’hallucinations qui n’étaient que la continuation de visions aperçues pendant le sommeil en état de rêve ; le songeur, réveillé, continuait à voir de ses yeux l’image qui lui avait apparu en songe. Si l’on a entendu en rêve un coup de tonnerre ou de canon, l’oreille