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s’arrêtant, elle poussa un gros soupir, qui stupéfia l’assemblée. Chacun des charlatans et des mystificateurs complaisants se demandait lequel d’entre eux était l’auteur de cette comédie.

Puis, la table, se penchant vers Wladimir, dans un violent mouvement inattendu qui fit rompre la chaîne, esquissa comme une sorte de salut.

Cette fois, les charlatans et les mystificateurs de l’assistance se regardèrent, interdits ; eux qui se considéraient comme trompant les autres, ne savaient plus quelle contenance tenir. Quelques-uns même étaient assez effrayés. Au fond, ne croyant pas à leur peresprit, ils se demandaient de quelle nature était ce phénomène nouveau pour eux, tandis que les gogos, par contre, se montraient enchantés, ravis, voyant dans cette manifestation subite un peresprit de premier ordre.

Enfin, la table reprit sa position normale ; on reforma la chaîne ; mais on ne put obtenir du meuble aucun mouvement de rotation. La séance finit ainsi, chacun se retirant passablement intrigué.

En rentrant chez lui, Wladimir, resté seul, s’abimant dans ses pensées, s’attarda quelques instants en son salon.

Là, nouveau phénomène. Tandis que ses yeux erraient mélancoliques, regardant tout ce qui l’entourait, mais comme quelqu’un qui ne les fixe sur rien, brusquement, son attention fut attirée par une petite table de fantaisie, une table-gigogne, qui semblait se mouvoir d’elle-même. Il observe avec soin ; il se tâte ; rêve-t-il ? Non, il est bien éveillé. La table-gigogne frappait d’un de ses pieds le parquet.

Pour le coup, Wladimir est ahuri. Jamais il n’avait vu une table manœuvrer de la sorte, sans le concours d’un médium.

Il s’enhardit, il s’approche. Évidemment, pense-t-il, il y a un esprit de défunt dans la table-gigogne, et cet esprit veut lui parler.

Alors, il l’interroge à la façon des pseudo-spirites. 11 convient avec la table qu’elle lui répondra par des coups frappés, plus ou moins nombreux, dans l’ordre des lettres de l’alphabet.

Une conversation s’engage entre Wladimir et la petite table, le premier interrogeant et notant précieusement les réponses. Ce qui était étrange en ceci, c’est que le questionneur n’avait nul besoin de poser ses mains, doigts étendus, sur la table-gigogne ; ah ! certes, le fameux fluide n’était ici nullement nécessaire.

Et voici ce que la table-gigogne dit à Wladimir :

« — Je suis l’âme-sœur que tu cherches ; mais je ne veux point m’incorporer dans une femme dont tu ferais ton épouse… Je t’aime depuis bien longtemps… Ton premier mariage m’a irritée… Moi, femme-esprit, âme refusant toute alliance avec la matière, je te veux pour moi seule, et je te persécuterai si ta pensée va désormais à une humaine, vivante ou morte…