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pour Paris ; vous irez acheter un panier convenable pour y loger ces bêtes, et vous les porterez à Mme O… Vous ferez tout votre possible pour qu’elle ouvre le panier elle-même. Je voudrais que les grenouilles lui sautent à la figure et se dispersent partout dans son salon. »

En arrivant à Paris, je change mes sauteuses de panier. Ce ne fut pas très facile, la peur sans doute doublait leur agilité. Enfin, le transbordement fait, je prends un fiacre et je me rends à la demeure de la dame. C’est un magnifique palais donnant sur une des grandes avenues de Paris, où un jour, l’auteur de la Comédie humaine reposera sur un piédestal, comme me l’a prédit mon Maître.

J’arrive dans l’antichambre. Dans la pièce à côté j’entends qu’on parle dans un acoustique, puis un valet tout chamarré me prie de le suivre. Nous prenons un escalier monumental tout en marbre d’Italie, de couleurs variées, bien assorties, de ton très doux. Arrivé en haut de cette merveille, on me fit entrer dans un salon où mes pieds s’enfonçaient dans le tapis moelleux. Partout ce n’était que glaces et miroirs dans lesquels les arbres du jardin venaient se refléter. J’aurais pu me croire dans quelque palais de féerie. J’avais toujours à la main mon panier de petite fille qui va à l’école, quand j’aperçus devant moi Mme O… que je n’avais ni entendue ni vue venir.

« Bonjour François, me dit-elle.

— Bonjour, Madame. »

Je présentai mon panier, mais elle ne le prit pas.

« Que m’apportez-vous là, François ?

— Je ne sais. Madame, c’est mon maître qui m’a remis ce panier en me recommandant de ne le remettre qu’à vous-même ; c’est vous seule qui pouvez prendre connaissance de son contenu. »