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Une semaine s’écoula, pendant laquelle on apprit les malheurs en Italie ; mon maître, étant un jour à Nice, passa au bureau météorologique qui avait enregistré dix-sept secousses depuis le premier jour de ce bouleversement, et on lui confirma qu’il y en aurait encore.

Rentré à la maison, il fit mander M. Mary, entrepreneur à Antibes. Ce dernier examina la maison et fut d’avis qu’il serait de la plus grande imprudence de continuer d’habiter la partie à deux étages, qui pouvait d’un moment à l’autre s’écrouler, les lézardes étant continues de la cave aux combles, de plus, les planchers étaient séparés des murs ; ils faisaient l’effet de tremplins quand on marchait dessus.

Mon maître dut donc quitter son bureau ; il s’installa dans une galerie vitrée située au-dessus du grand vestibule d’entrée qui lui servait de salle d’armes. Ce fut dans ce couloir long de douze mètres que pendant six semaines je couchai sur un matelas posé sur le parquet ; durant tout ce temps, la porte resta grande ouverte nuit et jour, j’avais seulement mis un rideau pour que l’air ne vînt pas me frapper directement sur les yeux…

On s’habitue à tout ; nous ne pensions pas à avoir peur ; Monsieur, qui d’ordinaire verrouillait jusqu’à la porte de sa chambre, couchait maintenant pour ainsi dire à la belle étoile ; toutes les issues de la maison étaient ouvertes sur la grande route, que ne cesse de sillonner nuit et jour la crème des vagabonds vomis par l’Italie sur toute la côte, marchant vers Toulon et Marseille. Je dois dire que jamais aucun d’eux ne fut même impoli avec nous ; mais aussi, lors même que le même chemineau revenait quatre fois à la charge dans la journée, je ne faisais pas semblant de le reconnaître, et je lui donnais sans réflexion aucune une nouvelle obole.