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vous prierez le maître d’hôtel de la remettre immédiatement. Dites-lui de s’arranger pour qu’on enlève le couvercle sur la table de la salle à manger ; insistez pour qu’il soit fait comme je le dis. »

À midi, le premier de l’an, j’étais dans l’office de Mme O…, me débattant avec le maître d’hôtel qui ne voulait rien entendre. « Vous comprenez, me disait-il, il y a du monde. Je ne peux pas présenter votre caisse. » Moi, je lui répliquais : « Peu importe le monde, au contraire ; plus on est de fous, plus l’on rit. » Enfin, je finis par le convaincre, et lui expliquais la manière de s’y prendre pour enlever le couvercle tout droit d’un seul coup. Cinq minutes ne s’étaient pas écoulées que j’entendis un brouhaha extraordinaire. On remuait des chaises, on riait, on trépignait. Je me disposais à partir quand le maître d’hôtel sortit de la salle à manger en me disant : « Ils rient tous ! mais tellement qu’ils en pleurent… Au revoir, au revoir ! »

Le soir, en habillant Monsieur, je lui racontai la peine que j’avais eu à décider le maître d’hôtel à présenter ma caisse : « Cela ne m’étonne pas du tout, me répondit-il. Tous ces maîtres d’hôtel de grandes maisons se ressemblent ; ils sont hauts comme des jubés d’église et la plupart servent très mal, avec leurs fausses manières de sacristain. Je trouve qu’on est mieux servi dans des maisons où il n’y a que deux bonnes… ? Mais vous les avez entendus rire… La chose a donc à peu près réussi. Cela me suffit. »

Il prit son chapeau : « Il fait très froid ce soir, dit-il, mettez Piroli dans sa corbeille près d’une bouche de calorifère, et laissez toutes les bouches de l’appartement ouvertes. En rentrant, je les fermerai, si je le juge à propos. »