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Rentré à la maison, seul, le soir, je prends à l’improviste un volume dans l’œuvre du maître. Il m’arrive de m’arrêter dans la lecture, il me semble le sentir près de moi… Ses ouvrages sont tellement lui-même, que je crois l’entendre, je me figure qu’il est là et qu’il va prononcer mon nom, je vois ses gestes souligner ses récits, je le retrouve tout entier, avec le rire si franc qu’il avait quand il me parlait de ses lecteurs.

Hélas ! oui, je revis les jours anciens ; distinctement j’entends mon maître me donner un ordre connu : « François, cette après-midi, vous porterez ma chronique au Gil Blas. J’espère qu’ils seront contents, puisqu’ils en veulent de bonnes ! »

Son rire sonnait alors, éclatant et plein, pareil à celui d’un enfant satisfait d’avoir achevé sa tâche.


Le lundi de Pâques 3 avril 1893, je suis dans le jardin avec mon maître et son infirmier. Il a beaucoup maigri pendant ce long hiver, et sa marche est moins sûre. Nous nous asseyons sur un banc, sous un marronnier, dont les jeunes feuilles laissent filtrer des rayons de soleil.

Malgré tout, le malade éprouve encore de la satisfaction à voir la renaissance de la nature ; il admire cette jolie pelouse au vert tendre qui s’étend devant nous et repose nos yeux. Je lui fais remarquer la beauté d’un petit arbuste qui a déjà sa couronne de feuilles panachées, presque blanches. Il me répond : « Oui, ce petit arbre fait bien, mais ce n’est pas comparable à mes peupliers blancs d’Étretat, surtout sous un coup de vent d’Ouest. »

Dans ce jardin, clos de murs sévères, je pense aux nombreuses promenades que nous avons faites en-