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voir. J’avais lu quelques-uns de ses contes, et je l’aimais beaucoup ; c’était un grand écrivain. Ah ! quel malheur !… » Le cœur de ce brave négociant éclata, il porta à ses yeux un mouchoir et ne put retenir ses larmes. Sa femme me dit alors : « Il y a quinze ans que nous sommes mariés, c’est la première fois que je le vois pleurer ! »


Je crois que nous sommes le 6 janvier. Rose et le gardien sont près de mon maître qui est calme. Pour moi, j’en arrive à être inconscient, je me meus comme une machine, mais, aussitôt que mes regards tombent sur le malade, je reviens à la réalité. Je crains toujours qu’il ne revienne sur notre différend à propos du départ pour la guerre… Étrange hallucination !

Nous sommes maintenant dans un wagon-lit, attelé au rapide de Paris ; nous allons à la maison du docteur Blanche, à Passy, où mon maître va être interné, guérir peut-être. Il est là, couché sur le lit du milieu, il ne manifeste aucune agitation, il est doux comme un enfant… Le train file à toute vapeur, nous traversons les montagnes de l’Estérel. Je suis debout, j’appuie ma main sur la portière ; elle s’ouvre toute grande. Encore un peu, j’étais lancé dans le vide. Comment je me suis maintenu ? je ne saurais le dire. Quand j’eus refermé la portière et repris possession de moi-même, le gardien me dit : « Vous l’avez échappé belle ! Il était écrit que vous ne deviez pas mourir, sans doute parce que votre maître a besoin de vous pour se remettre. » Cette parole me frappa, je sentis mon courage me revenir…


Passy, 7 janvier. — Toute cette première journée, mon maître se repose ; il me paraît bien fatigué, il a cependant dormi pendant la plus grande partie du voyage…