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dence même. Je continuai de mon mieux à consoler le blessé avec tout ce que je pouvais trouver de paroles apaisantes. Vingt fois je les répétais et elles faisaient quand même du bien à mon pauvre maître qui se raccrochait éperdument à un espoir insensé. Enfin sa tête s’inclina, ses paupières se fermèrent, il s’endormit…

Raymond, appuyé sur le pied du lit, était anéanti, à bout de force, il avait donné tout ce dont il était capable ; il était d’une pâleur effrayante. Je lui conseillai de prendre un peu de rhum, ce qu’il fit, et alors de sa poitrine de colosse sortent des sanglots à croire qu’elle allait éclater, ses yeux restaient secs. Tous deux, nous avons veillé notre bon maître ; je ne bougeais pas, car il avait une main posée sur un de mes bras ; je craignais tant de le réveiller que nous ne parlions même plus. La lumière des lampes avait été baissée et, dans l’obscurité, nous pensions à l’irréparable malheur.

Que de choses me sont passées par la tête dans cette fin de nuit ! Parfois, je souhaitais que tout s’arrêtât et que ma vie fût suspendue, tant elle était pénible à supporter. Puis, je voulais reprendre espoir, je me disais que puisque mon maître raisonnait, qu’il reconnaissait l’absurdité de ce qu’il avait fait, c’est que son esprit n’était pas mort ; donc, je pouvais encore espérer. À force de raisonnement, j’arrivais à me persuader que je saurais bien le guérir et que cet accident disparaîtrait avec le temps. Je me représentai qu’il était impossible qu’il nous quittât ainsi, quand, la veille encore, il nous parlait en termes si lucides de ses travaux, de son Moine de Fécamp et de son Angelus. En tout cas, je me promettais de faire tout ce qui dépendrait de moi pour combattre le mal, qui n’était pas, me disais-je, invincible,