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Divonne et nous sommes tombés d’accord pour reconnaître que c’était bien le traitement qui me convenait. Du reste, le résultat le prouve assez. »

Ce professeur, qui est un homme de beaucoup de cœur, avait, il y a quelques années, pris mon maître en amitié ; il le traitait avec une affection toute paternelle et semblait toujours le regarder comme un adolescent sans expérience. C’est ainsi que Monsieur, s’en étant allé à Cannes sans moi, il y a un an, me dit à son retour : « Je rentrais le soir avec M. le Docteur G… à ce triste hôtel sis dans un bas-fond, entre la route de Grasse et le boulevard du Cannet. La nuit était sombre et quelque chose de douloureux flottait dans l’air de cette vallée, qui sent le marais. Pourquoi nous étions-nous logés là ? Je ne sais ; toujours est-il que, chemin faisant, la conversation nous amena à parler de ma santé. J’expliquai à ce bon docteur ce qu’avait été dans sa jeunesse l’auteur de Bel-Ami, je lui dépeignis le canotier intrépide que j’étais autrefois. Enfin je détaillai ce que je ressentais maintenant. Alors, comme un père à son enfant, il me dit les choses les plus douces qu’on puisse entendre, enveloppées de recommandations d’une telle fermeté, capables de faire tressaillir le cœur le plus indifférent. Quand nos mains se touchèrent pour nous séparer, je remarquai que des grosses larmes coulaient sur les joues maigres de celui qui venait de me remuer si profondément avec ses bonnes paroles. Sur le moment, je fus pris d’une envie spontanée de tremper mes lèvres à cette douce source de larmes qui m’apparurent comme les plus nobles que mes yeux, mouillés eux aussi, eussent jamais vues… »

Monsieur ajouta un moment après : « C’est la seule fois de ma vie que j’ai eu le désir d’embrasser un homme. »