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enclos ; il me suit sans prononcer une parole, saute d’un bond dans la voiture et tombe plutôt qu’il ne s’assoit dans son coin. Il semble toujours regarder au loin, sans rien voir.

Nous reprenons le chemin par lequel nous sommes venus. En apercevant la maison de son frère, il n’a qu’un mot, toujours le même : « C’est là !… » Et alors, avec un grand flux de paroles, il me fait le récit des principaux épisodes de la vie de celui qu’il pleure. Dans tout ce qu’il me confie, je retrouve bien la ressemblance de ces deux êtres, pourtant si différents par certains côtés. Il ne peut me dire que du bien de son frère, mais il regrettait seulement qu’il n’ait pas voulu suivre la carrière diplomatique, pour laquelle il lui reconnaissait des dispositions. Au lieu de cela, il a voulu entreprendre la culture des fleurs, et dans ses jardins, nu-tête l’été, en plein soleil, par deux fois il fut frappé d’insolation. De nouveau, mon maître se tait… J’aperçois en ce moment, des deux côtés de notre voiture, deux longues lignes claires, entre des murs élevés. C’est le Rhône qui court vers des pays plus cléments, comme s’il voulait fuir le brouillard qui pèse sur lui.

Monsieur est toujours absorbé, et nous arrivons ainsi à l’hôtel. Là, je lui sers un thé bien chaud. Il se met à arpenter sa chambre de long en large et se remet à parler de la mort de son frère : « Je l’ai vu mourir, me dit-il. Selon la science, sa fin devait arriver un jour plus tôt ; mais il m’attendait, il ne voulait pas partir sans me revoir, sans me dire adieu… Au revoir peut-être ?… Qui sait !… Quand je l’eus embrassé, il prononça très fort par deux fois : « Mon Guy ! mon Guy ! » comme autrefois dans le jardin des Verguies, quand il m’appelait pour une partie de jeux… De mon mouchoir je lui essuyais ses pauvres