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partons, nous traversons la rivière, et nous arrivons dans la campagne… Je parle peut-être un peu trop, pendant ce trajet, des choses qui se rencontrent sur notre chemin, car mon maître ne paraît nullement s’y intéresser et ne répond que rarement. Il est pensif et son regard semble chercher très loin quelque chose qu’il ne trouve pas… Alors je ne dis plus rien, et c’est dans cette campagne un silence profond. Notre voiture roule ainsi pendant une heure.

Tout à coup M. de Maupassant baisse la glace qui est à sa portée et m’indique du geste une maison sur la gauche tout entourée d’arbres, et d’une voix qu’il s’efforçait de rendre naturelle : « C’est là, dit-il, dans cette demeure, que mon pauvre frère est mort. »

Dix minutes après, nous arrivons sur le parvis d’une coquette église de campagne ; puis nous nous dirigeons vers le champ de repos où se trouve la sépulture de M. Hervé. C’est une tombe de marbre noir, où sont écrits en lettres d’or le nom et l’âge de celui qui repose là pour toujours… Le monument est de bon goût et imposant dans sa simplicité.

Relevant alors la tête, je découvre le beau site que domine ce cimetière. Monsieur est resté immobile et silencieux. Je fais alors quelques pas et je risque quelques paroles pour lui faire remarquer le paysage ; mais il ne paraît pas m’entendre, sa figure a pris cette teinte violacée qui marque chez lui une violente émotion. Il ne pleure pas, mais sa figure est toute contractée et cette douleur muette, sans sanglots, me serre le cœur. Il finit par dire : « Cette tombe est bien celle qui convient ; de forme arrondie, la pluie du ciel se chargera de la nettoyer. » La main qui tient sa canne a des mouvements nerveux. Je m’efforce de l’emmener hors du funèbre