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teinte. Et voilà pourquoi M. de Maupassant père agitait si désespérément son mouchoir ! Il les connaissait, ces traîtres récifs…

En cette circonstance, l’œil de Bernard, son œil marin dont il aimait à se vanter, nous tira d’un fort mauvais pas, et le Bel-Ami, par sa souplesse, évita de laisser, sur ces tas de pierres à fleur d’eau, sa belle membrure. Ce désastre aurait pu se produire sous le drapeau et sous l’œil du gardien du sémaphore, qui nous parlait un instant auparavant !

Nous naviguâmes ensuite vers le large. Monsieur, en prenant son thé, nous assura que, le cas échéant, nous aurions pu gagner la terre dans le canot… Il dit cela avec calme, presque avec indifférence. Puis il pria Bernard de rentrer assez à temps pour qu’il pût faire sa promenade à pied.

Le matin qui suivit cette sortie, il me dit de lui commander une voiture découverte à deux chevaux pour 3 heures… Dans la voiture, en cours de route, il m’annonça sans préambule qu’il avait commencé l’Âme étrangère et qu’il croyait que ce serait un bon roman, un peu sensationnel peut-être.

Nous longeons le golfe au petit trot des chevaux, jusqu’au Pin-Bertrand. Quelques personnes sont assises sous cet arbre, d’autres regardent sa structure gigantesque… Pendant plus d’une heure, nous tournons, suivant les caprices de chemins étroits qui desservent tantôt un champ de culture, tantôt des plantations de vignes. On voit aussi pas mal de broussailles et de terrains incultes. Mais voici que nous arrivons maintenant dans la vallée de Pampelone, but de la promenade. L’aspect change ; tout ici est riant. L’auberge où s’arrête notre attelage est abritée, cachée presque complètement,