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brumes les plus épaisses et quelquefois à travers la tempête qu’accompagnent toujours le tonnerre et les éclairs qui aveuglent. Donc, regardez bien, il faut absolument voir. »

Debout à l’avant, tenant d’une main le filin de la voile, je regardais de mon mieux, mais je ne pouvais toujours distinguer qu’une mousse grise et compacte et pas autre chose. Une heure peut-être se passa ainsi. Ensuite des changements successifs se produisirent, la mousse prit une teinte blanche qui formait rideau et resserrait moins le rayon visuel. Puis, venant et tournant en quelque sorte sur elle-même, l’écume légère, disparaissant dans la masse liquide, produisait les couleurs les plus variées, le violet se mêlait au jaune clair, des foyers bleus passaient à travers le rose pâle. Ce jeu de nuances magnifiques m’intriguait beaucoup. Maintenant, je commençais à voir. Cette grande bande blanche, où se confondaient toutes les nuances de l’arc-en-ciel, disparaissait dans les eaux sous la pression puissante du soleil, qui apparaissait au loin, tout rouge ; ses rayons continuèrent à peser sur la brume et, majestueux, il s’éleva et nous chauffa toute la journée.

Bernard me dit alors : « Cette fois, vous y voyez, François ? — Oui, lui répondis-je, mais je serais désireux de voir ce phénomène se renouveler un autre matin. »

Il y avait plusieurs jours que nous étions au large avec une mer calme, n’avançant que lentement, quand vers 2 heures de l’après-midi, le pilote nous dit qu’il apercevait Porto-Fino.

« Oui, nous dit-il, je le reconnais à son clocher. » Tout le monde se mit à regarder dans la direction qu’il indiquait. Ne distinguant aucune interruption de côtes, je fis