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drait très important et qui ferait du tort à Nice, peut-être même à Monte-Carlo. Il jeta les bases des statuts, s’enthousiasmant, s’excitant, affirmant qu’il était en mesure d’obtenir l’autorisation des jeux, etc.

Quelques jours après, mon maître me prévient qu’il allait donner un déjeuner de douze personnes, douze hommes : « Car, fit-il, nous allons fonder une société anonyme qui n’est qu’une farce que nous voulons jouer au comte L…, fondateur du cercle. Il en sera le président effectif, le comte O…, le président honoraire et le principal bailleur de fonds soit pour sa part deux millions et demi ; M. R…, secrétaire, puis le baron R…, P. A…, moi et quelques autres, nous compléterons le conseil d’administration et nous achèterons l’île Sainte-Marguerite. »

Au déjeuner, douze messieurs entourent la table ; la réunion est très sérieuse. Le comte O… paraît soucieux, il se passe souvent la main derrière la tête ; son attitude est celle d’un homme qui lutte, qui se demande s’il doit s’engager dans cette affaire, s’il ne serait pas plus sage de s’abstenir. C’est que deux millions et demi, quoiqu’on soit riche, c’est quelque chose !…

Le baron R… fait discrètement remarquer au futur président cette hésitation de leur plus fort actionnaire, mais M. P. A…, aidé de mon maître, démontre, chiffres en mains, par des documents irréfutables, que l’affaire est de tout premier ordre, absolument bonne ; le principal actionnaire se laisse convaincre et donne son approbation entière, les autres actionnaires le suivent dans cette voie avec un ensemble édifiant.

Le futur président est pourpre de joie et de triomphe… Puis, le déjeuner terminé, le conseil tout entier, flanqué de ses dignitaires éventuels, se dirige vers le port en fumant d’énormes cigares…