Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/216

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sâmes beaucoup de mer et des océans. Par-ci, par-là, un coup de vent, une avarie, mais tout cela ne compte pas. Le plus ennuyeux avec la voile, c’est encore le calme, et le calme, dans ces longs voyages, c’est à faire perdre la tête aux matelots. Donc, après sept mois de mer, le capitaine nous dit un jour : « Mes enfants, nous sommes arrivés. »

« Tout le monde ouvrait de grands yeux, car nous ne voyions pas encore la terre. L’on tira quelques milles et l’ordre de mouiller fut donné. Nous aperçûmes alors pas bien loin une côte très basse qui formait une pointe et se perdait dans la mer.

« On communiqua aussitôt avec la terre et deux jours plus tard des chalands venaient prendre nos marchandises. Nous étions sur une côte du Japon et le port ne permettait pas l’entrée de notre navire. Nous étions là pour sept semaines, le temps de décharger nos marchandises et de reprendre celles que nous devions rapporter en France. L’équipage faisait un peu la tête d’être obligé de rester comme cela en pleine mer. Au moins, en Chine, disions-nous, on entrait dans un port et on allait à terre ! Cette fois, nous allions tirer dix-sept ou dix-huit mois de roulis sans un quart d’heure d’interruption.

« Nous faisions entre nous toutes ces réflexions, mais personne ne se plaignit, car notre capitaine, homme énergique, était la bonté même, et on l’aimait beaucoup à bord. Au bout de quelques jours, nous vîmes accoster à notre bord une baleinière remplie de monde. Aussitôt notre curiosité, comme vous le pensez bien, fut aguichée et chacun se demandait ce que cela signifiait. Ce qui était plus drôle, c’est qu’en voyant toutes ces personnes, nous ne pouvions deviner leur sexe, car, dans ce pays, les costumes masculins ou féminins se ressemblent