Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/192

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

respirais l’autre nuit, lorsque vous plongiez si hardiment dans l’eau. » Aujourd’hui, ils vivent très heureux, m’a-t-on dit ; je les vois rarement ; je suis tellement pris… toujours et partout. »

Nous quittons le restaurant. Monsieur marche d’un bon pas sur le pont. Après avoir payé les sous du péage, je le rejoins : « Ce pont suspendu et tremblant, me dit-il, fait l’effet d’un vieillard atteint de la danse de Saint-Guy, et cette Seine, je la connais, elle m’a donné de bons moments et aussi des rhumatismes dont je ne puis me débarrasser. Je lui tiens un peu rancune pour ces derniers, peut-être plus encore parce qu’elle m’a refusé jusqu’à présent l’occasion d’avoir la médaille de sauvetage. J’ai pourtant retiré de ses eaux treize noyés, onze morts et deux vivants. Les morts ne comptent pas. Mes deux vivants, faisant partie de sociétés, restent donc aussi sans effet. Alors il faudrait une occasion nouvelle pour avoir ma médaille, que je souhaite tant. Pour moi, elle vaut toutes les « Légion d’honneur » possibles. »

Dans le train, nous prenons chacun un coin à reculons, nous sommes seuls. En passant à Médan, mon maître donne un coup d’œil par la portière et il dit : « Zola est peut-être à Médan, les fenêtres de son cabinet sont ouvertes. »


18 juin. — Nous sommes à Triel déjà installés. Mon maître a été chercher sa yole à Poissy, et il me charge d’aller y prendre le bateau Tonneau. Cette embarcation, ainsi dénommée parce que le constructeur l’avait faite absolument ronde en dessous, était destinée à devenir le canot du Bel-Ami, mais elle ne put jamais tenir la mer. Une après-midi, je vais la chercher ; Monsieur était là, il embarqua avec moi et nous sommes descendus lente-