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Rue Montchanin, 25 avril 1889, 9 heures du matin.M. de Maupassant est debout, près de la cheminée de sa chambre. Il met des pièces d’or en piles.

« Vous voyez, me dit-il, tout ceci est mon gain d’hier soir. La somme est rondelette, mais je ne veux pas en garder un sou. Cette après-midi, j’irai au bureau de bienfaisance. Je ne sais pas pourquoi tous ces gens du monde me forcent à jouer. Ainsi, hier, la réunion était chez mon ami X…, l’avocat, vous savez bien, celui qui est venu déjeuner avec moi l’année dernière. À cette soirée, les dames étaient en majorité. Sur leurs instances, je dus consentir à jouer ; toutefois, je les prévins qu’elles avaient tort, car il était probable que leurs belles cagnottes iraient aux pauvres…

« Je ne comprends pas cette aversion qui est en moi pour tous les jeux d’argent, alors que j’ai tant d’entrain pour les jeux d’esprit et encore plus pour tout ce qui est entraînement physique. »


Les premiers jours de mai 1889, mon maître fait venir rue Montchanin une troupe d’Arabes, qui arrivait d’Alger, pour donner des représentations à l’Exposition. Il profita de l’occasion pour offrir à quelques amis privilégiés la primeur du savoir-faire de ces artistes d’Afrique, artistes drôles, originaux.

L’une des femmes, en entrant, me sauta au cou en me disant des choses très aimables : « Je te reconnais, toi, tu es venu à Alger, je me souviens de toi, oh oui, oui ! » Et elle ne cessait de m’embrasser, ce qui me gênait beaucoup, tandis que Monsieur riait à se tordre. Il intervint : « Mais il est très possible que Madame vous ait vu à Alger, après tout, puisque vous y avez été. » La jeune personne, encouragée par ces paroles, ne me