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un écrivain de première force. Avez-vous lu quelque chose de lui ? »

Je répondis : « Oui, monsieur, mais peu ; les Rougon-Macquart seulement. — Hé ! fit mon maître, eh bien ?

— Oh ! Monsieur, je ne sais trop quoi vous dire, car c’est de la littérature et je n’y entends goutte… »

M. de Maupassant me dit : « Vous vous rattrapez bien en cuisine ; on ne peut pas tout savoir. Mais enfin, vous avez lu les Rougon-Macquart ? — Oui, Monsieur, et puisque vous désirez savoir ce que j’en pense, je vais vous le dire. M. Zola a beaucoup trop exagéré en parlant des domestiques ; il fait dire à ces pauvres bonnes toutes sortes d’horreurs ; dans Pot-Bouille, il leur fait crier par les fenêtres des cours des mots sales, malpropres. Je vous répète ? Monsieur, qu’il a exagéré. Je suis domestique depuis vingt-cinq ans et jamais je n’ai entendu des propos approchant de ceux que M. Zola met dans la bouche de ses personnages. Puis, son Trublot, je veux bien croire qu’il existe ; mais c’est un sujet très rare. Je ne dis pas que les bonnes, les cuisinières, n’ont pas leurs désirs d’amour comme les autres femmes. Non, mais de là à dire qu’elles en sont toutes là, prêtes à cacher des Trublot derrière les portes de leur cuisine, en attendant le moment de les faire monter dans leur mansarde, non ? Monsieur, non !

« M. Zola a pris ses documents bien bas ; je me demande où il a pu aller les chercher. Ce n’est pas bien de s’en prendre à de pauvres êtres sans défense, qui sont souvent très intéressants. Que de fois dans une journée la plupart d’entre elles foulent aux pieds leur amour-propre pour garder leur place et rester honnêtes ! Et cela pour toucher à la fin du mois trente francs, sur lesquels elles s’achètent le strict nécessaire et envoient le reste à leurs