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pas soldat ? — Si, me répondit-elle, il s’est battu ; il faisait partie de la levée des conscrits de dix-huit ans ; et, à son arrivée à Rouen, il fit avec des amis quelques farces à l’Amiral qui commandait la ville et plus tard à des prussiens. Lorsque les Allemands devinrent maîtres de la ville, il gagna le Havre, où il soigna les varioleux comme une sœur de charité. »


Au bout de quelques jours, mon maître me dit : « Je vais donner un dîner. Nous serons seize. Je sais qu’il n’y a de place que pour douze ; mais on se casera tout de même. C’est un dîner de fiançailles. »

Ce dîner n’était qu’un bon tour qu’on voulait jouer à la belle H… pour se venger d’une mystification qu’elle s’était permise à l’égard de mon maître.

Un Espagnol, superbe, grand, blond, le teint rose, arrivé tout récemment de Madrid, était à la recherche d’une dame jolie et aimable dont il voulait faire sa compagne. Il était immensément riche et devait s’installer somptueusement. Quatre dames, dont la belle H…, furent invitées, pour qu’il pût choisir. Elles avaient mis leurs plus beaux atours, s’étaient bichonnées, étaient sous les armes.

Le bel Espagnol, qui était marquis, fut placé au bout de la table, ayant sous le regard les quatre dames, qui ne le quittaient pas des yeux. Il régnait un calme relatif au début, tout le monde se dévisageait avec un peu de gêne, mais on regardait surtout le richissime étranger. Quoique beau garçon, il était d’aspect bizarre ; trop grand, il ne pouvait arriver à placer ses jambes sous la table, il avait un habit démesuré, un gilet jaune, un pantalon gris-bleu très clair.

Le poisson venait d’être servi, quand tout haut il