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à son âge, l’échine manque déjà de flexibilité ; alors, avec tous les honneurs dus à son rang, Mme R…, toujours aimable et souple comme une liane, s’empressait de lui ramasser ses boules, qu’elle lui remettait avec des : « Voici, monsieur le baron », pas moqueurs du tout ; ils sonnaient le sérieux.


Le soir, dîner aux Verguies, suivi de musique ; le lendemain, on visite le val d’Antifer et on déjeune chez la belle Ernestine à Saint-Joint. En a-t-elle vu, cette belle Ernestine, de notabilités qui sont venues admirer ses vieilles boîtes à horloges du bon vieux temps, alors que les pommes donnaient autant d’eau-de-vie que de cidre ! Le soir on joua au mouchoir. Tout d’abord ce jeu interloqua un peu le baron, mais il y fut vite fait ; c’était bien plus amusant que cette musique qu’il entendait, toujours la même, depuis plus de soixante ans…

Un jour, M. de Maupassant partit en voiture avec le baron. « Comme c’est singulier, me disais-je, pas de femmes ? » Deux jours après, comme je donnais la douche à mon maître, il me dit : « Je suis allé avec le baron visiter la Bénédictine de Fécamp. Il désirait donner un coup d’œil à la Maison Tellier, qui est en réalité à Rouen, mais j’avais des raisons de transporter l’histoire à Fécamp. Le baron a vu la maison de Fécamp et l’a très bien reconnue, d’après ce que j’avais écrit ; c’est… très amusant… »

Après dix jours de cette existence simple et saine, pendant lesquels des jeux d’enfant avaient été servis à ce baron, il était transformé. Les affaires le rappelaient, et il aurait tant voulu rester encore. Il trouvait si bon, ce milieu d’apparence si simple, mais où l’on rencontrait des gens d’esprit, des artistes, où l’on jouissait d’une gaîté intarissable !