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dîners. Un matin, M. de Maupassant parut préoccupé ; il m’annonce qu’il allait donner un lunch à plusieurs grandes dames de la haute société, qu’il ne pouvait inviter à dîner à cause de sa situation de célibataire. Il y aura aussi quelques messieurs. « Vous n’avez pas, dit-il, l’habitude de ce genre de réception, enfin vous ferez pour le mieux, je vous dirai ce qu’il faudra vous procurer. »


Le 22 mai, à 4 heures, tout le monde est arrivé pour le lunch, j’ai brûlé un vrai assortiment de parfums. Le samovar, avec son petit bruit de vapeur qui s’échappe, appelait les convives… J’écartai la grande portière séparant le salon de la salle à manger et les invités prirent place autour de la table. Mon maître en ce moment me parut gêné, lui si libre d’ordinaire ; toutes ces belles dames riaient déjà bien haut et deux d’entre elles, au lieu de s’asseoir à table, se hissèrent sur un mignon coffre Renaissance qui se trouvait à côté de la fenêtre. Celle qui se tenait le plus près de la baie se mit à jouer avec le gros gland du rideau, le faisant aller et venir comme si c’était une sonnette ; sa voisine l’accompagnait par des mouvements de jambes, elle battait la mesure avec ses talons sur la façade du coffre, et toutes deux riaient en découvrant largement leurs dents d’ivoire. Les dames qui étaient à table les accompagnaient à l’unisson…

Toutes, ma parole, elles étaient lancées dans une gaîté que je ne m’expliquais pas ; après tout, me disais-je, titres à part, elles sont femmes, et comme elles viennent de passer sous une ancienne porte de harem du Grand Turc transformée en portière de salle à manger, cela les a peut-être électrisées !