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l’honneur des armes… ! » Alors tout l’escadron, dans une même pensée, s’élança en avant, pour l’honneur des armes, pour la France. Vous dire la sensation que j’ai éprouvée en tirant mon épée et en donnant cet ordre, je ne le pourrais pas ! C’est une sorte d’enthousiasme qui vous jette dans un état délirant, indéfinissable, qui vous donne une volonté inconnue, des forces surnaturelles… Nous allâmes ainsi jusqu’au choc !… et là, le petit nombre que nous restions frappait son adversaire avec la fureur que commandait la circonstance. Et quand presque seul, je ne trouvais plus personne devant moi, je me disais : C’est donc déjà fini !… Il me semblait que le carnage n’avait duré qu’un instant… Hélas, oui, c’était bien fini, et les quelques officiers que la chance avait laissé vivre avec moi me rejoignirent… » En ce moment, le général était très ému, tous les nerfs de son être de soldat étaient tendus, comme les cordes d’une harpe qui donne sa note la plus élevée, et, de sa main, comme s’il eût donné l’ordre de la revanche, il montrait l’horizon… Rien qu’à l’entendre je me sentais frissonner, j’étais empoigné par l’attitude de ce brave général, je venais de saisir (et je saurai un jour les rendre) les effets produits dans ces rencontres sur les champs de bataille dans l’âme d’un vrai soldat.

« Nous sommes revenus vers la Réserve. Le jardin des Hespérides nous envoyait les senteurs douces et agréables de ses orangers à larges feuilles et, sous l’atmosphère puissant de cette fin du jour, le golfe de Cannes était incendié par le soleil couchant rouge, très rouge, et il fumait, semblable ainsi à un grand lac de sang. »

16 mai — Rentrés à Paris, nous donnons plusieurs