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essayant de faire rendre le plus de service possible à ma lanterne.

Dans l’antichambre, mon maître débarrasse cette dame de toute une série de châles. Il était très empressé et très prévenant. Je remarquai combien sa façon de parler avait de séduction quand il le voulait.

Lorsqu’ils furent au dessert, je me rendis à la cuisine où Désirée m’attendait pour dîner à notre tour. « Hein ! me dit-elle, elle est belle cette dame ? » Je répondis en riant : « Sûrement elle est belle et je lui trouve un air d’impératrice. — Ne riez pas, me dit gravement Désirée, cette dame a été la maîtresse de Napoléon ; tout le monde le sait ici. Napoléon en était fou ; il l’a anoblie. Elle a fait graver des armes sur tous ses bijoux et sur tous les objets qu’elle a chez elle. »

À 10 heures, la voiture est là, je reprends ma lanterne, j’accompagne Monsieur et son invitée ; mon maître monte en voiture avec elle et me dit : « Vous ne m’attendrez pas, j’ai mes clefs… »

Je repousse la grille, je reviens à la cuisine, où je dépose ma lanterne ; puis, à tâtons, suivant la haie de troènes, je gagne ma chambre. Une odeur âcre, mélange de sapin et de goudron, me monte à la gorge ; c’est une odeur, dit-on, très saine, mais tout de même désagréable, quand on n’y est pas habitué.

Je contemple ma chambre qui me fait l’effet d’un énorme cercueil retapé à neuf pour le grand voyage.

J’en fais l’inventaire : un lit en fer, une armoire, deux petites banquettes fixes, à tribord et à bâbord ; une planche faisant tablette et portant une cuvette ; en face, un hublot ; près de la tête du lit un clou pour accrocher sa montre, et c’est tout. Les boiseries avaient dans leurs lignes un cachet de la Renaissance. J’appris plus tard