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ce côté. Nous étions, je crois, à peine à un mille de l’entrée de cette baie — je ne pourrais le dire au juste, car nous avions fort à faire, puis la lumière, pendant la nuit, trompe même les yeux les plus exercés, — toujours est-il qu’à ce moment les matelots pas plus que mon maître ne se sentaient sûrs de réussir à entrer dans la rade…

Raymond fut très crâne en ce moment. « Dans ce cas, dit-il, — ou plutôt il le cria : — Cap à la mer. » La manœuvre fut aussitôt faite, et un petit vent du golfe servit très bien le Bel-Ami pour reprendre un peu le large, là où le vent se mourait.

Mais la houle grossissait de plus en plus, elle formait de hautes montagnes d’eau, puis creusait des puits dans lesquels le bateau descendait, c’était à croire qu’il ne remonterait pas. Mais Bernard disait : « Pas mauvais, ce bateau ; il ne se laisse pas surprendre, il gravit la lame comme un lion le rocher (sic). »

Vers 10 heures, notre situation s’aggrava encore, nous passâmes un bien mauvais moment ; nous ne savions plus où donner de la tête ; quantité de cordes et de filin avaient cédé, il n’y avait plus que la grande voile sur le bateau ; les balancements, avec ces ressacs terribles, avaient fait sauter les pataras. On réparait autant qu’on pouvait, mais on n’avait pas fini d’un côté que d’un autre tout cédait. Toutes les cordes de la grande voile étaient attachées tant après le bastingage qu’au pied de la mâture. En ce moment, je pensai à Tahya. Elle était partie, elle, pour Cannes, bien tranquille dans un compartiment chauffé.

Nous prîmes plusieurs fois du champagne, nous en avions besoin ; mon maître buvait du thé. Tout en tenant la barre ; il ne paraissait pas démonté du tout. Au plus fort de nos ennuis, il nous disait quelques mots