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personne mon nom, pas plus que ma situation. J’ai juré, je dois tenir mon serment. »

« Nous avons ensuite parlé de cette époque du second Empire. Les noms qui lui revenaient fréquemment étaient Ricord, médecin de l’empereur, Feuillet l’écrivain. Elle connaissait beaucoup M. Thiers et Jules Simon. Quand je la quittai, je la saluai avec beaucoup de déférence, elle m’avança sa main en me disant : « Permettez-moi de « serrer la main du bon écrivain qu’est M. de Maupassant. » Et très bas : « Si j’osais, je vous demanderais si votre Bel Ami continue toujours son grand succès… »

« Elle peut avoir cinquante-cinq ans, elle a dû être bien jolie, sa figure a gardé beaucoup de caractère. »

Le 21, à 9 heures du matin nous faisons la manœuvre pour sortir du port de Porquerolles. Nous avons beaucoup de mal, la brise n’est pas assez forte, les voiles de Bel-Ami ne sont pas assez grandes et sont, de plus, en mauvais état. Enfin le tout réuni faisait que le bateau n’obéissait pas, il n’abattait pas, comme disaient les matelots, et il était bien près de toucher aux roches qui bordent cette baie.

Bernard me mit alors une gaffe dans les mains avec les instructions pour m’en servir. Je poussais bien de toutes mes forces avec cette lourde perche, mais cela ne changeait pas grand’chose à la position du bateau, enfin un semblant de vent de terre arriva à notre secours ; alors tout seul, le Bel-Ami se mit en route. Mon maître tenait la barre, bien entendu, mais ne disait mot. Bernard avait toute la responsabilité de la manœuvre dans les moments difficiles.

La sortie effectuée, on navigua vers le large. Arrivés à cinq milles en mer, nous avions, autant que le vent