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23 décembre. — M. de Maupassant travaille de plus en plus. Aujourd’hui je vois que le tas de papier noirci a vraiment grossi ; je compte, il a écrit trente-sept pages de papier écolier dans sa journée. Je lui en fais la remarque, lui disant que c’est beaucoup, et qu’il pourrait, en se fatiguant, prendre des maux de tête. Ma réflexion le fait sourire, il réplique : « Mais non, mais non, cela ne me fatigue nullement ; ce sont des récits de voyage, cela me vient tout seul, sans chercher, ma mémoire en fournirait à deux plumes comme la mienne. »

Malgré cette dose de travail, mon maître va très souvent déjeuner au cercle des officiers, ou bien quelques-uns de ces messieurs viennent à la maison.

Un jour, il me dit : « J’aurai jeudi prochain plusieurs de ces messieurs à dîner ; je voudrais que vous me fassiez un macaroni à l’italienne tout à fait bien soigné, car vous savez que le directeur de la Banque est un ancien ministre italien. On ne sait pas au juste, mais on raconte qu’il aurait tué en duel plusieurs personnes de son pays, ce qui l’aurait amené à s’expatrier. Il serait venu ici, et, par vengeance, croit-on, il se serait rangé du côté des Français. »

Le jeudi, les convives arrivent ; j’ai fait de mon mieux pour flatter leur palais, j’ai choisi des mets recherchés, bécasses, etc. Tout marche bien, quand j’arrive dans la salle à manger, portant un saladier où fumait le macaroni : « À la guerre comme à la guerre ! » m’étais-je dit. Je n’avais pas de légumier. Mais mon maître ne pensa pas comme moi ; il me fit les gros yeux, puis, pour tâcher de laisser passer inaperçu l’incident, il se mit à dire au directeur que cela ne lui paraissait pas le bon macaroni dont il avait l’habitude ; pourtant ces messieurs en prirent et en reprirent tant et si bien qu’il n’en res-