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attrait pour moi ; j’étais tout au plaisir que me procurait la conversation de ces deux hommes d’esprit qui se comprenaient si bien tous deux.


M. de Maupassant allait souvent dîner au Palais d’été, à Mustapha supérieur, chez M. Tirman, qui lui avait expliqué ses vues sur l’avenir de l’Algérie, sur les barrages à construire, l’abandon du budget à la colonie, la question des chemins de fer, etc. Tout cela paraissait intéresser mon maître ; mais sa figure était bien plus expressive quand il me racontait sa promenade du vendredi, sur la route du cimetière arabe, qui l’amusait à un tel point qu’il aimait à la recommencer deux fois en un jour.

« Voyez, me disait-il, ce que sont les coutumes de ces races… Ces Arabes, qui laissent à peine sortir leurs femmes pour aller à la mosquée, les envoient chaque vendredi assez loin dans la campagne faire des simagrées sur les tombes de leurs parents défunts, et redresser les quelques cailloux pointus qui ornent ces silos d’os humains enfouis là. Lorsqu’elles sortent de leurs Champs-Elysées dépourvus de charme, la plupart d’entre elles redeviennent femmes. Ainsi aujourd’hui, j’ai fait deux fois la route de Mustapha inférieur jusqu’au jardin d’Hussein-Dey, pour m’en rendre compte. Eh bien, plusieurs de ces femmes, quand elles n’étaient que deux et qu’elles savaient n’être pas vues, ont levé leur voile à mon approche. Leur visage, qui ne voit jamais le jour, est d’un blanc de craie et l’on dirait que les joues de quelques-unes d’entre elles sont légèrement veloutées de poudre mauve. Avec leurs grands yeux noirs, la plupart sont très jolies ainsi. »

Et un sourire se perd dans la moustache de mon maître…