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demande comment il va (il avait été quelques jours souffrant). Il répond qu’il va mieux, que ce sont toujours ces maudites fièvres qu’il a prises pendant sa détention en Allemagne. Monsieur exprime alors son horreur pour la guerre et en particulier sa haine pour les Prussiens. « Je ne puis comprendre toutefois, dit-il, les braillards de la revanche. Nous ne l’aurons jamais de cette façon ; il faudrait, au contraire, se bien préparer sans le laisser voir, et leur tomber dessus au moment opportun. »

Je ne me souviens pas au juste de la date du jour où Monsieur me dit ce qui suit, je n’en ai pas pris note, mais je me rappelle très bien que j’étais allé au jardin le prévenir que son dîner était prêt. Je le trouvai en train d’admirer une corbeille d’hortensias : « Voyez, François, me dit-il, comme ils sont beaux cette année ; chaque tige forme un bouquet de belle dimension ; ils me semblent aussi plus colorés que d’habitude, cela tient peut-être à leur force vitale. » Le soleil disparaissait derrière la côte du bois Valois et obliquement nous frappait dans les yeux. Pour l’éviter et aussi pour rentrer, mon maître se tourna vers la maison, continuant de parler comme s’il était pressé :

« J’ai envoyé aujourd’hui à Paris le manuscrit du Horla ; avant huit jours vous verrez que tous les journaux publieront que je suis fou. À leur aise, ma foi, car je suis sain d’esprit, et je savais très bien, en écrivant cette nouvelle, ce que je faisais. C’est une œuvre d’imagination qui frappera le lecteur et lui fera passer plus d’un frisson dans le dos, car c’est étrange. Je vous dirai, du reste, que bien des choses qui nous entourent nous échappent. Plus tard, quand on les découvre, on est très étonné de ne pas les avoir aperçues déjà. Puis, notre