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LE CHEMIN DE FER

dans leur état primitif. Ce n’est donc pas faire un sacrifice que de les allouer à la compagnie qui se chargera de l’entreprise.

Nous croyons, au contraire, qu’il est dans les intérêts bien entendus du pays d’accorder cet énorme subside en terres. Car, la compagnie du Pacifique s’efforcera naturellement d’attirer une forte immigration étrangère dans ces lointains parages, afin de les coloniser rapidement, de donner aux terres le plus de valeur possible et d’assurer un trafic local considérable à ce chemin de fer. Elle sera le meilleur agent d’immigration que nous puissions trouver.

Nous avons l’exemple des compagnies américaines de chemins de fer pour nous convaincre pleinement à ce sujet. Car, toutes les lignes qui ont obtenu des subventions en terres aux États-Unis — environ 200 000 000 d’acres en tout — ont puissamment aidé le gouvernement à développer le pays en favorisant l’immigration européenne. Elles n’ont pas craint d’envoyer des agents, à grands frais, dans le vieux monde, pour prôner leur entreprise et exalter outre mesure les richesses naturelles de régions qu’elles devaient sillonner. Et à l’appel entraînant de ces agents, des centaines de milliers d’émigrants n’ont pas hésité à prendre leur feuille de route pour l’ouest, où avant longtemps, il y aura par exemple plus d’Allemands que dans l’Allemagne même.

Les prairies de l’ouest ne se colonisent pas avec la lenteur de nos régions boisées. Il faut au colon du nord bien des efforts et de pénibles travaux avant qu’il puisse ensemencer le terrain qui est couvert d’arbres géants. Le colon de l’ouest au contraire n’est généralement pas obligé de se servir de la cognée du bûcheron ; il s’établit d’ordinaire dans un pays ouvert, où il peut mettre de suite la charrue dans le sol pour en tirer les trésors qu’il recèle. Aussi il a l’énorme avantage de recueillir quelques mois après son arrivée la précieuse moisson qui doit sustenter sa famille.

C’est ce qui fait que d’immense régions désertes, il y a quelques années, et où erraient seuls les chasseurs et les buffles mugissants, sont aujourd’hui habitées et prospères. Avant la construction du Pacifique Central, les territoires du Nebraska, de Wyoming, de l’Utah, du Nevada et de la Californie ne comptaient qu’une faible population. En 1860, il n’y avait que 460 112 âmes, et la guerre de sécession fut cause que ce nombre n’était guère plus élevé, lorsque le chemin fut commencé en 1863.

Mais aujourd’hui cette population est de plusieurs millions. Les villes ont surgi par enchantement tout de long de la ligne. San Francisco qui n’avait qu’une population de 60 000 âmes, lors du commencement de l’entreprise, en a aujourd’hui plus de 150 000. De vastes exploitations industrielles, auxquelles elle a donné un débou-