Page:Tassé - Le chemin de fer canadien du Pacifique, 1872.djvu/17

Cette page a été validée par deux contributeurs.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

Il est toujours facile d’égarer le public en excitant ses préjugés et d’empêcher pour un temps au moins les capitalistes, naturellement peu confiants, de se lancer dans toute entreprise un peu aventureuse. Aussi a-t-il fallu une grande somme de courage et de persévérance de la part de ceux qu’on traitait dédaigneusement d’utopistes, pour lutter victorieusement contre le flot des passions que l’on soulevait contre eux.

Mais qu’eut-il arrivé si ces prétendus visionnaires n’avaient pas eu une foi aussi inébranlable dans la réussite de leurs projets et si leurs détracteurs eussent fini par triompher auprès de l’opinion publique éclairée, auprès des sommités de la politique et de la finance ? Que de grandes choses seraient encore à faire ? Quel mouvement rétrograde la civilisation eut subi ?

Le célèbre M. de Lesseps n’eut jamais ouvert l’isthme de Suez à la navigation et au commerce du monde entier, le Mont Cenis ne serait pas encore percé, le fluide électrique ne traverserait pas l’océan, et la locomotive n’escaladerait pas aujourd’hui triomphante les cimes neigeuses de la Sierra Nevada et des Montagnes Rocheuses et ne sillonnerait pas tout un continent.

Mais les préjugés n’ont qu’un temps. Les nuages de l’erreur finissent toujours par se dissiper au souffle puissant de la vérité. Et tandis que ceux qui auront fait appel aux mauvais instincts du peuple pour s’opposer à de grandes idées, fécondes en résultats, seront confondus dans l’humiliation et dans l’oubli, la génération présente comme la postérité salueront avec admiration les noms de ceux qui auront couronné de succès leurs grandioses conceptions. Leur gloire sera d’autant plus brillante, leurs titres à la reconnaissance universelle seront d’autant plus inaltérables, que leur tâche aura été plus difficile et plus laborieuse.

La construction du Chemin Canadien du Pacifique est l’une de ces grandes idées, dont l’exécution nous élèvera aux yeux du monde. Elle a sans doute ses détracteurs, mais l’immense majorité du pays en demande la réalisation. Elle a de puissants défenseurs qu’aucun obstacle ne rebutera et qui veulent y attacher leur nom. C’est un fait dont nous devons tous nous féliciter, car les plus optimistes n’ont jamais cru que la nation appuierait cette entreprise avec autant d’unanimité.

Malgré la force du sentiment public en faveur de l’entreprise, il règne encore beaucoup de doutes sur la praticabilité de la route au point de vue des obstacles physiques qu’offre le vaste pays qu’elle doit traverser. Certains tableaux fantastiques de ces difficultés, que l’on a publiés, n’ont pas peu contribué à dérouter l’opi-