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eh bien ! fais-la à ton père, en est-il une plus juste ? Cher fils, rappelle-toi tout ce qu’il m’en a coûté de soins pendant trente ans pour t’élever : songe à la bénédiction que Dieu promet à ceux qui honoreront ici-bas leurs parents, et crains qu’il ne te maudisse à jamais, si tu oses devenir toi-même le meurtrier de ton père. »

Ce discours touchant émut le fils ; mais il allégua l’aversion de sa femme, et, pour le bien de la paix, il exigea que le vieillard sortît. « Eh ! où veux-tu que j’aille ? répondit le prud’homme. Des étrangers me recevront-ils, quand mon propre fils me rejette ? Sans argent et sans ressources, il faut donc que je mendie le pain dont j’ai besoin aujourd’hui pour ne pas mourir. » En parlant ainsi la face du vieillard était baignée de larmes. Il prit néanmoins le bâton qui l’aidait à se soutenir, et se leva en priant Dieu de pardonner à son fils. Mais avant de sortir il demanda une dernière grâce. « L’hiver approche, dit-il, et si Dieu me condamne à vivre encore jusqu’à ce temps, je n’ai rien pour me défendre du froid. La robe que je porte est en lambeaux ; en reconnaissance de toutes celles qu’il m’a fallu te fournir pendant ta vie, beau fils, accorde-m’en une des tiennes. Je ne te demande que la plus mauvaise, celle que tu ne veux plus porter. »

Cette légère faveur lui fut encore refusée, la femme répondit qu’il n’y avait point à la maison de robe pour lui. Il demanda au moins l’une des deux couvertures qui servaient pour le cheval, et le fils, voyant alors qu’il ne pouvait s’en défendre, fit signe à son propre fils, qui se trouvait là, d’en apporter une.

Celui-ci n’avait pu voir sans attendrissement les adieux de son grand-père. Il avait dix ans, et je vous