ce temps-là l’envie n’a qu’à vous prendre de vous faire moine ou templier, vous donnerez alors tout au couvent, et vos petits-enfants n’auront rien. »
Les trois frères exigèrent donc que le bourgeois fît, avant de conclure, une donation entière de tout ce qu’il possédait, sinon ils se refusaient au mariage. Le bonhomme, de son côté, résista tant qu’il put à de pareilles conditions ; mais l’amour paternel l’emportant enfin, il consentit à se dépouiller. En présence de quelques témoins qui furent convoqués dans la maison, il renonça solennellement à tout, sans se réserver seulement une écuelle pour déjeuner. Ce fut ainsi qu’il se mit dans la dépendance de ses enfants et qu’il se donna lui-même le coup mortel. Hélas ! s’il avait su quel sort lui était destiné, il n’eût eu garde vraiment de s’y abandonner.
Les deux époux eurent un fils qui crût en âge, et qui annonça beaucoup d’esprit et de bonnes qualités. Le vieillard, pendant ce temps, vécut tant bien que mal à la maison. On l’y souffrait, parce qu’il gagnait encore quelque chose par son industrie. Mais avec les années les infirmités s’accrurent ; il devint hors d’état de travailler, et alors on le trouva incommode. La dame surtout, qui était orgueilleuse et fière, ne pouvait le souffrir ; chaque jour elle menaçait de se retirer si on ne le renvoyait, et elle persécuta si fort son mari que l’ingrat, oubliant ce qu’il devait à la reconnaissance et à la nature, vint signifier à son malheureux père de chercher ailleurs un asile.
« Beau fils, que me dis-tu, s’écria le vieillard. Quoi, je t’ai donné le fruit de soixante années de sueurs, tu jouis par moi de toutes tes aises, et pour récompense