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s’il est entraîné dans l’écurie, vous le perdrez. » On lia fortement les deux queues ensemble. Les deux maquignons s’armèrent aussitôt d’une houssine, et chacun commença de son côté à tirer sa haridelle par le licou pour la faire avancer.

L’une ne valait guère mieux que l’autre, tous leurs efforts n’aboutirent qu’à serrer les nœuds sans gagner un pouce de terrain. Le moine frappait et tirait tellement la sienne qu’il était tout en sueur. Mais le vilain plus habile, quand il vit que son roussin ne se trouvait pas le plus fort, s’avisa d’une ruse qui lui réussit, ce fut de le laisser reculer pour épuiser la vigueur de l’autre.

En effet, la haquenée ne l’eut pas entraîné dix pas, que hors d’haleine et battant des flancs elle s’arrêta tout court. Le manant alors ranima son cheval de la voix. « Allons, mon petit gris, du cœur, mon roi, hue ! hue ! hue ! » Le bidet, à l’instant, rassemble son peu de forces, il se cramponne contre le pavé, et du premier coup de reins enlève la jument qui, malgré tous les coups du moine, se laisse emporter sans résistance, comme une charogne qu’on traîne à la voirie.

Déjà le roussin avait la tête hors du couvent, et le moine se voyait au moment de perdre. Mais celui-ci tout à coup tirant son couteau coupe la queue du roussin. Les deux chevaux, libres ainsi, s’élancent chacun de leur côté et il ferme la porte : en vain le manant l’appelle et frappe à tout enfoncer, personne ne lui répond. Dans sa colère il se rendit à la cour de l’évêque pour se plaindre et demander justice, mais le procès traîna en longueur, il ne fut pas jugé et je vous laisse à décider comment il devait l’être.