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l’aviez vu, il vous eût fait pitié, tant il avait le poil terne et tant ses côtes saillaient.

À mi-chemin, se trouvait le prieuré de Saint-Acheul. Un des moines étant venu par hasard à la porte quand le vilain passa, il lui demanda si son cheval était à vendre, et dit qu’ils en avaient un au couvent dont ils voulaient se défaire et qu’on pourrait troquer contre le sien. Le manant accepta la proposition. On le conduisit à l’écurie, où on lui montra une grande et vieille haquenée au dos ensellé, au cou de grue, haute du derrière, basse devant, et si maigre, qu’on ne pouvait la regarder sans rire.

Ce fut là aussi toute la réponse que fit le vilain. Le moine prétendit qu’il avait tort de mépriser sa bête ; qu’elle était en mauvais état à la vérité parce qu’elle avait fatigué beaucoup, mais qu’il ne lui fallait qu’un peu de repos pour se refaire, et que tous les jours on en voyait vendre au marché pour cent sous qui ne la valaient pas de moitié. « Oui, elle est bonne à écorcher, reprit le villageois, et c’est sa peau apparemment que vous voulez me vendre. Mais, Sire, voulez-vous voir une bête impayable ? regardez mon bidet. Voilà qui est bien troussé et qui a bonne mine : ça laboure, ça herse, ça sert de limonier, ça va sous l’homme comme une hirondelle, c’est bon à tout. »

Enfin, le manant vanta si fort son cheval et déprisa tant celui du moine, que le religieux piqué, pour venger l’honneur du sien et en prouver la force, proposa de les attacher tous deux par la queue et de voir qui pourrait emporter l’autre. « Nous les placerons au beau milieu de la cour, dit-il. Si le vôtre entraîne le mien hors du couvent, ils sont à vous tous deux, mais