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et, dans ce palais dont vous m’avez rendue la dame, je prends Dieu à témoin que tous les jours, en le remerciant de cet honneur, je m’en reconnaissais indigne. Je laisse sans regret, puisque telle est votre volonté, les lieux où j’ai demeuré avec tant de plaisir et je retourne mourir dans la cabane qui me vit naître, et où je pourrai rendre encore à mon père les soins que j’étais forcée, malgré moi, de laisser à un étranger. Quant au douaire dont vous me parlez, vous savez, Sire, qu’avec un cœur chaste, je ne pus vous apporter que pauvreté, respect et amour. Tous les habillements que j’ai vêtus jusqu’ici sont à vous : permettez que je les quitte et que je reprenne les miens que j’ai conservés. Voici l’anneau dont vous m’épousâtes. Je sortis pauvre de chez mon père, j’y rentrerai pauvre, et ne veux y apporter que l’honneur d’être la veuve irréprochable d’un tel époux. »

Le marquis fut tellement ému de ce discours, qu’il ne put retenir ses larmes, et qu’il se vit obligé de sortir pour les cacher. Griselidis quitta ses beaux vêtements, ses joyaux, ses ornements de tête : elle reprit ses habits rustiques et se rendit à son village, accompagnée d’une foule de barons, de chevaliers et de dames qui fondaient en larmes et regrettaient tant de vertus. Elle seule ne pleurait point, mais elle marchait en silence, les yeux baissés.

On arriva ainsi chez son père, qui ne parut point étonné de l’événement. De tout temps ce mariage lui avait paru suspect, et il s’était toujours douté que tôt ou tard le marquis, quand il serait las de sa fille, la lui renverrait. Le vieillard l’embrassa tendrement et sans témoigner ni courroux ni douleur ; il remercia