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Oh ! quelle douleur mortelle dut ressentir en ce moment cette femme incomparable, quand, se rappelant qu’elle avait déjà perdu sa fille, elle vit qu’on allait faire encore mourir ce fils, son unique espérance et le seul enfant qu’elle croyait lui rester. Quelle est, je ne dis pas la mère tendre, mais l’étrangère compatissante et sensible qui, à une telle sentence, eût pu retenir ses larmes et ses cris ? Reines, princesses, marquises, femmes de tous états, écoutez la réponse de celle-ci à son seigneur et profitez de l’exemple.

« Cher Sire, dit-elle, je vous l’ai juré autrefois, et je vous le jure encore, de ne vouloir jamais que ce que vous voudrez. Quand, en entrant dans votre palais, je quittai mes pauvres habits, je me défis à la fois de ma propre volonté, pour ne plus connaître que la vôtre. S’il m’était possible de la deviner avant qu’elle s’explique, vous verriez vos moindres désirs prévenus et accomplis. Ordonnez de moi maintenant tout ce qu’il vous plaira. Si vous voulez que je meure, j’y consens, car la mort n’est rien auprès du malheur de vous déplaire. »

Gauthier était de plus en plus étonné. Un autre qui eût moins connu Griselidis eût pu croire que tant de fermeté d’âme n’était qu’insensibilité, mais lui qui, pendant qu’elle nourrissait ses enfants, avait été mille fois témoin des excès de sa tendresse pour eux, il ne pouvait attribuer son courage qu’à l’amour qu’elle lui portait. Il envoya, comme la première fois son sergent fidèle prendre l’enfant et le fit porter à Bologne, où il fut élevé avec sa petite sœur.

Après deux aussi terribles épreuves, Gauthier eût bien dû se croire sûr de sa femme et se dispenser de