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à lui donner, personne ne songeait à elle. Enfin, les amis du vilain étant venus en son nom en faire la demande, elle lui fut accordée ; et la fillette qui était sage et qui n’osait désobliger son père, se vit, malgré sa répugnance, obligée d’obéir. Le vilain, enchanté de cette alliance, se pressa bien vite de conclure et fit ses noces à la hâte.

Mais elles ne furent pas plus tôt faites, que des réflexions chagrinantes survinrent et qu’il s’aperçut que, dans sa profession, rien ne lui convenait moins qu’une fille de chevalier. « Pendant que je serai au dehors, pensait-il, occupé à ma charrue ou à quelque autre travail, que deviendra ma femme, élevée à ne rien faire, et dont l’état est de rester au logis ? Je tremble d’y penser. Comment donc faire quand il n’y a plus de remède ? Si le matin avant de partir, je la battais, se dit-il à lui-même, elle pleurerait tout le reste du jour, et il est sûr que, pendant qu’elle pleurerait, elle ne songerait point à mal. Le soir, en rentrant j’en serais quitte pour lui demander pardon, et je sais bien comment il faut s’y prendre pour l’obtenir. »

Rempli de cette belle idée, il demande à dîner. Après le repas, il s’approche de la dame, et, de sa rude et lourde main, lui applique sur la joue un tel soufflet, que la marque de ses cinq doigts y reste imprimée. Ce n’est pas tout : comme si elle eût réellement manqué, il redouble de quelques autres coups et sort ensuite pour aller aux champs. La pauvrette se met à pleurer et se désole. "Mon père, pourquoi m’avez-vous sacrifiée à ce vilain ? N’avions-nous donc pas encore du pain à manger ? Et moi, pourquoi ai-je été assez aveugle pour consentir à ce mariage ! Ah ! ma