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du violon. Dès qu’elle le sut, elle s’échappa du château pendant la nuit et vint au rivage de la mer loger chez une pauvre femme. Là, pour se déguiser, la jeune fille se noircit avec une herbe le visage et les mains. Elle vêtit cotte, braies et manteau d’homme, et obtint d’un marinier qui passait en Provence qu’il la prît sur son bord. Le voyage fut heureux. Nicolette débarquée prit son violon, et, sous l’équipage d’un ménétrier, s’en alla violonnant par le pays, tant qu’enfin elle arriva au château de Beaucaire.

Aucassin, en ce moment, était avec ses barons, assis sur le perron de son palais. Il regardait le bois où, quelques années auparavant, il avait retrouvé Nicolette sa douce amie, et ce ressouvenir le faisait soupirer. Elle s’approcha, et sans faire semblant de le reconnaître : « Seigneurs barons, dit-elle, vous plairait-il ouïr les amours du gentil Aucassin et de Nicolette sa mie ? » Tout le monde en ayant témoigné le désir le plus vif, elle tira d’un sac son violon, et en s’accompagnant chanta comment Nicolette aimait son Aucassin, comment il l’avait retrouvée dans la forêt, et toutes leurs aventures enfin jusqu’au moment de leur séparation. Elle ajouta ensuite :

Sur lui ne sais rien davantage,
Mais Nicolette est à Carthage,
Où son père est roi du canton.
Il veut lui donner pour mari
Un roi païen et félon ;
Mais elle dit toujours non,
Et ne veut pour baron
Qu’Aucassin, son doux ami ;
Et mille fois la tuerait-on,
Elle n’aura jamais que lui.