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va être découverte et arrêtée, se dit-elle à elle-même : quel dommage si cette fillette allait périr. Hélas ! Aucassin, mon damoiseau, en mourrait aussi. » Le bon soldat eût bien voulu instruire Nicolette du péril qu’elle courait ; mais il fallait que les soldats ne s’en aperçussent point, et c’est ce qu’il fit en chantant cette chanson :

 
Fillette au cœur franc,
Aux blonds cheveux, aux yeux riants,
On voit bien sur ton visage
Que tu as vu ton amant ;
Mais prends garde à ces méchants
Qui, sous leurs capes, vont portant
Glaives nus et tranchants,
Et qui te joueront tour sanglant
Si tu n’es sage.

La belle devina sans peine le sens de la chanson. « Homme charitable, qui as eu pitié de moi, dit-elle, que l’âme de ton père et de ta mère reposent en paix. » Et aussitôt elle s’enveloppa dans son manteau et alla se tapir dans un coin de la tour, à l’ombre d’un pilier, de façon que les soldats passèrent sans l’apercevoir. Quand ils furent éloignés, elle dit adieu à son ami Aucassin, et s’avança vers les murs de la ville pour chercher quelque endroit par où elle pût s’échapper.

Là se présenta un fossé dont la profondeur l’effraya d’abord ; mais les dangers qui la menaçaient et la crainte surtout qu’elle avait du comte Garins étaient si grands, qu’après avoir fait un signe de croix et s’être recommandée à Dieu, elle se laissa couler dans le fossé. Ses belles petites mains et ses pieds délicats, qui n’avaient pas appris à être blessés, en furent cruellement meurtris. Néanmoins, sa frayeur l’occupait