Page:Tardivel - Mélanges, Tome I, 1887.djvu/268

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vivons dans un siècle de décadence, un siècle de matérialisme et de plaisirs ; mais qu’on cherche à élever au rang de héros et d’héroïnes des hommes et des femmes qui passent leur vie à jouer des drames où la morale est outragée à chaque ligne, où la vertu est bafouée et le vice glorifié, cela est honteux, dégradant et bête ; cela se voit mais ne s’explique pas.

Ces vers ampoulés et plats de M. Fréchette à l’adresse de Sarah Bernhardt remplissent l’âme de dégoût et de tristesse. Lisez plutôt :

Salut, Sarah ! salut charmante dona Sol !
Lorsque ton pied mignon vient fouler notre sol,
Notre sol tout couvert de givre,

Est-ce un frisson d’orgueil ou d’amour ? je ne sais :
Mais nous sentons courir dans notre sang français
Quelque chose qui nous enivre !

Femme vaillante au cœur saturé dé idéal,
Puisque tu n’as pas craint notre ciel boréal,
Ni redouté nos froids sévères,

Merci ! De l’âpre hiver pour longtemps prisonniers,
Nous rêvons à ta vue aux rayons printaniers,
Qui font fleurir les primevères !

Oui, c’est au doux printemps que tu nous fait rêver,
Oiseau des pays bleus, lorsque tu viens braver
L’horreur de nos saisons perfides,

Aux clairs rayonnements d’un chaud soleil de mai,
Nous croyons voir, du fond d’un bosquet parfumé,
Surgir la reine des sylphides.

Quand on songe que cette « femme vaillante au cœur saturé d’idéal » s’est décidée à visiter le Canada uniquement parce que ce voyage devait lui rapporter tant de mille francs, on est forcé d’admettre que le naïf enthousiasme de M. Fréchette est aussi risible qu’affligeant ; et la comédienne, qui a de l’esprit, dit-on, a dû rire sous cap de maître Honoré et de son boursouflage.

Citons encore deux strophes de cette misère :