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autrement dit engendrer et tuer le plus possible, telle est la vie des hommes primitifs ; produire et consommer le plus possible, la vie des civilisés. Construire des théories et détruire celles de ses prédécesseurs, tel est le rêve du savant ; celui de l’artiste est d’éclipser ses devanciers, d’ensevelir leurs œuvres sous ses œuvres. Au fond de tout cela se retrouve l’opposition et aussi bien l’adaptation fondamentale : se nourrir pour agir, défaire pour refaire. Avec les débris d’une couche géologique former un nouveau terrain : voilà la vie de la terre ; monter de la mer au ciel, redescendre du ciel à la mer : voilà la vie de l’eau sur la terre. Monter du périhélie à l’aphélie, redescendre de l’aphélie au périhélie, les planètes ne font pas autre chose dans l’éther. Mais, de ce conflit perpétuel entre Brahma l’engendreur et le tueur Siva, de cette lutte d’actions contraires et des luttes avec les harmonies, se dégage incessamment quelque nouveauté qui ne s’oppose à rien, qui ne sert à rien, car elle n’est semblable ni assimilable à rien, et qui semble être la fin finale des choses ! À chaque instant, chacun de nous, êtres éphémères, parmi ses amours ou ses combats, traverse un état singulier, unique, goûte un plaisir qu’il n’a plus goûté ou ne goûtera plus, ou souffre une souffrance inouïe, inconnue à tout autre et à lui-même. Cela est, n’a plus été, ne sera plus, et cela semble être la raison d’être de tout ce qui se répète, s’adapte et s’oppose ! Et, à travers cela, quelque chose d’inaccessible est poursuivi, une plénitude, une totalité, une perfection, platonique passion de toute âme et de toute vie. La poursuite de l’impossible à travers l’inutile : serait-ce donc là vraiment le dernier mot de l’existence ?