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être qu’au prix d’un pieuse contradiction ; car il est contradictoire de croire que ce cadavre qui passe, inerte et décomposé, est le seul vestige d’un homme, et de témoigner à ce reste encombrant, insalubre souvent, périlleux pour la santé publique, un respect que cet homme n’inspirait point, et qui semble impliquer qu’on répute cet homme encore existant mais sous une forme plus pure et plus haute. Or, si, sur ce point, on admet la nécessite de se contredire, et si l’on considère cette contradiction comme nécessaire au maintien de la dignité sociale, de l’homme social, pourquoi refuserait-on d’admettre sur d’autres points une nécessité analogue ? Ou bien dira-t-on que ce culte des morts est une superstition à rejeter aussi après toutes les autres, que les animaux ont raison de s’écarter du cadavre de leurs proches des qu’ils sont morts, qu’il faut les imiter en cela et nous hâter de faire disparaître sans cérémonie, le plus hygiéniquement possible, les corps glacés de nos parents et de nos amis ? Cette supposition fait horreur. Pourquoi ? Parce que l’affirmation publique, ainsi faite, de la désespérante vérité que la science semble nous imposer répugne au cœur invinciblement, au cœur qui exige absolument ce fétichisme de la douleur, tout à fait semblable, au fond, au fétichisme de nos premiers aïeux. Or, si vous respectez ce fétichisme, c’en est assez pour que la religion tranchée repousse par là.

À quoi, en somme, vais-je conclure ? À ceci, qui est bien simple. L’autorité, la bonté, la nécessité sociale d’une religion lui viennent de la presque unanimité qu’elle établit sur des points de doctrine particulièrement importants pour l’apaisement des plus grandes angoisses. Ce n’est pas de liberté