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de variations géométriques. Successive, elle ne peut que se répéter ou se renverser. Imaginons que les points de l’espace soient aussi pauvres en relations mutuelles possibles que les points du Temps ; tous les mouvements de l’univers seraient nécessairement ou parallèles et étrangers les uns aux autres, ou dirigés les uns contre les autres. Il n’y aurait ni monde solaire ni êtres vivants. — Parfois, après un effort prolongé de spécialisation théorique ou pratique, il semble que l’âme, soit individuelle soit nationale, s’achemine vers un état d’appauvrissement voisin de ce dénuement imaginaire. Une seule idée se loge alors dans l’intelligence et dans le cœur ; toute l’intelligence s’est réduite à un jugement, tout le cœur à un dessein. Il ne reste plus qu’à se répéter ou à se contredire, à encenser son idole continuellement ou à la souffleter. La politique, qui fait tant de monomanes, a le don de ces répétitions et de ces volte-face. L’imagination déployée par l’art, par l’industrie même, par la culture philosophique, nous sauve de ces dangers.

Observons que la fécondité de certaines inversions tient à ce qu’elles ne sont qu’apparentes et que, en réalité, elles sont des variations. Par exemple, entendez au rebours un air de musique, en commençant par la dernière note et finissant par la première, et vous serez charmé de voir que vous avez créé de la sorte un air d’une étrangeté inattendue, mélodieux encore parfois, mais d’une mélodie toute nouvelle, qui n’est nullement l’inverse du même morceau entendu comme à l’ordinaire, mais qui en diffère souvent du tout au tout. Rien de pareil ne se produit quand, après avoir vu une personne de profil, on la regarde, de profil encore, du côté opposé :